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les 100 mots de l’eau

Mrs

*Jean Louis chaussade

*Maryvonne pellay

1 – H2O

« L’eau est un composé ! Il est difficile de se défendre d’une impression de surprise la première fois qu’on entend une proposition aussi contraire à la tradition de tous les siècles. »

Guyton de Morveau, « La Chymie », in Charles-Joseph Panckoucke, Encyclopédie méthodique, 1789.

L’eau est formée d’oxygène et d’hydrogène, on ne le sait que depuis deux siècles : deux volumes d’hydrogène pour un volume d’oxygène donnent deux volumes d’eau.

2 H2 + O2 → 2 H2O

Dans cette petite molécule si simple, chacun des atomes d’hydrogène apporte à l’oxygène son électron unique, complétant ainsi à huit la couche externe des électrons de l’oxygène pour constituer deux liaisons de valence simples, très stables, faisant un angle de 104,45°.

La molécule d’eau mesure 0,343 nanomètre et une mole d’eau (1 mole = 6,022 × 1023 molécules élémentaires) pèse 18 g.

Simple, mais c’est sans compter avec la liaison hydrogène que certains n’hésitent pas à baptiser « liaison de la vie », car elle confère à l’eau liquide des propriétés complexes et essentielles en biologie moléculaire pour le bon fonctionnement du vivant.

La molécule d’eau est polaire : les charges électriques y sont réparties de manière dissymétrique : excédent de charges positives du côté des atomes d’hydrogène et excédent de charges négatives du côté de l’oxygène. Grâce à cette polarité, une molécule d’eau est capable de créer jusqu’à quatre liaisons hydrogène autour d’elle, avec d’autres molécules d’eau ou avec des molécules biologiques. L’eau est un liquide associé par les liaisons hydrogène, cinquante fois moins fortes que les deux liaisons qui lient l’oxygène aux deux hydrogènes de la molécule d’eau. Elles se rompent et se reforment environ 1 000 milliards de fois par seconde dans l’eau liquide, conférant aux architectures moléculaires qu’elles assemblent les possibilités d’évolution indispensables aux molécules biologiques, donnant « le feu vert » pour qu’elles puissent réagir.

Les molécules d’eau peuvent ainsi se structurer en architectures complexes, pour donner naissance à la grande variété de cristaux de neige et de glace, ou pour emprisonner une molécule comme dans les clathrates (→ 4). Elles sont capables de s’associer par liaisons hydrogène à la surface des atomes et des molécules les plus grosses, formant une sorte d’écran. En se glissant en grappes dans la double hélice d’ADN, elles évitent sa dénaturation en empêchant les deux brins de s’écarter. En solution, elles entourent les ions, les empêchant de se combiner à nouveau avec des ions de signe opposé ; elles les maintiennent dissous avec une redoutable efficacité. C’est ainsi que l’eau est un solvant (→ 6) quasi universel des sels, des acides et des bases.

Les liaisons hydrogène sont aussi responsables des particularités physiques de l’eau. Il est très peu économique de chauffer de l’eau, car une partie de la chaleur sert à rompre ces fameuses liaisons qui ne disparaissent complètement que dans la vapeur d’eau. Sans liaisons hydrogène, l’eau serait gazeuse à la température ambiante, elle gèlerait à – 100 °C et bouillirait à – 80 °C. Les milieux aqueux ne seraient pas réactifs, ils seraient inertes et la vie ne se serait jamais développée dans l’eau.

La simplicité de la molécule H2O contraste étrangement avec les comportements complexes de l’eau.

 

2 – Eau lourde

 

Deux isotopes d’un élément ne diffèrent que par le nombre de neutrons de leur noyau.

L’eau que l’on trouve dans la nature est, à plus de 99,5 %, composée de deux atomes d’hydrogène sans neutrons et d’un atome d’oxygène à huit neutrons, mais les combinaisons d’autres isotopes de l’hydrogène et de l’oxygène méritent également le nom d’eau. Comment les nommer ?

La seule eau qui ait l’appellation « d’eau lourde » est D2O (D pour deutérium, isotope de l’hydrogène dont le noyau est composé d’un neutron et d’un proton). La concentration du deutérium par rapport à l’hydrogène normal étant de 0,015 %, la probabilité pour que deux deutériums se combinent à un atome d’oxygène est très faible. L’eau lourde est encore moins répandue que l’eau semi-lourde HDO (0,03 % de l’eau sur la Terre).

Le tritium, seul isotope radioactif de l’hydrogène, dont le noyau est composé de deux neutrons et d’un proton, ne se trouve naturellement sur terre qu’en quantité infinitésimale, sa présence est essentiellement liée aux activités des centrales nucléaires qui sont autorisées à en rejeter dans l’environnement au total jusqu’à une quarantaine de grammes par an. Le tritium est utilisé dans les hôpitaux, les centres de recherches, l’armement nucléaire, les usines de fabrication d’agents de scintillation.

La mesure des résidus en eau lourde tritiée du pic de 1963, dû aux essais de la bombe H, a amélioré la connaissance de la vitesse de transfert de l’eau dans les aquifères (→ 24). Des teneurs très faibles indiquent une eau infiltrée avant les essais nucléaires de 1952. L’ingestion chronique d’eau tritiée, THO, radioactive, peut être cancérigène.

Les différences de propriétés physiques entre les isotopes sont plus marquées que celles de leurs propriétés chimiques, plus subtiles.

L’eau lourde est plus lourde que l’eau. Un glaçon d’eau lourde coule dans un verre d’eau ordinaire. Elle peut être séparée de l’eau ordinaire par distillation, car son point d’ébullition est plus élevé. Les isotopes lourds et légers ne se comportent pas de la même manière dans le cycle de l’eau (→ 27), les isotopes lourds précipitent les premiers.

Les réactions biologiques, comme la division cellulaire, sont plus lentes avec l’eau lourde.

Elle est utilisée dans certains types de réacteurs nucléaires qui fonctionnent avec du minerai non enrichi en uranium 235. L’économie faite sur l’enrichissement est dépensée en eau lourde qui se négocie à plusieurs milliers d’euros le litre. Dans les pays qui utilisent ces filières, le plutonium produit sert à la fabrication d’armement nucléaire.

Le film La Bataille de l’eau lourde témoigne de son importance dans la course aux armes nucléaires telle qu’on l’a connue pendant la Seconde Guerre mondiale et pendant la guerre froide.

 

3 – Transitions de phase

« Qu’est-ce que l’eau ? Est-elle fluide ou solide de sa nature ? Ne faut-il pas, pour qu’elle coule, qu’un feu secret en désunisse les parties ? Ôtez une grande quantité de ce feu, elle devient glace. Or, qu’est-ce qu’un élément qui a besoin d’un autre élément pour exister ? »

Voltaire, Des singularités de la nature, 1772.

Les trois états de l’eau, solide, liquide et gaz, et les transitions entre eux sont bien connus. L’homme participe à ces changements d’état quand il fabrique des glaçons, provoque la condensation de la vapeur d’eau sur le miroir de la salle de bains, fait bouillir de l’eau ou l’évapore à travers des turbines pour produire de l’électricité. Heureusement pour la vie, à la pression atmosphérique normale, l’eau se transforme en glace à 0 °C et bout à 100 °C. Aux températures intermédiaires, l’agitation thermique et le hasard des remaniements de la liaison hydrogène permettent aux molécules d’eau de passer de la phase liquide à la phase gazeuse (par exemple d’une rivière à l’air de l’atmosphère) du moment que l’air ambiant n’est pas saturé en vapeur d’eau. Ainsi va le cycle de l’eau (→ 27).

Les températures des transitions de phases dépendent de la pression : au sommet de l’Everest, l’eau bout à 72 °C.

Quelques fantaisies de l’eau très pure : elle peut rester liquide bien au-delà de 100 °C et ne commencer à bouillir qu’à 220 °C. Dans cet état très instable, la moindre perturbation déclenche une ébullition explosive. Elle peut aussi rester liquide au-dessous de 0 °C, jusqu’à – 40 °C, elle est en état de surfusion, mais le moindre germe déclenche spontanément sa prise en glace cristalline.

Les chevaux du lac Ladoga en firent les frais durant l’hiver 1942, pendant le siège de Stalingrad. Pour échapper à un incendie déclenché par les bombardements, un troupeau de chevaux sauvages se précipite dans le lac qui aurait dû être gelé, la température ayant chuté à – 30 °C. Ces gros germes provoquent le gel brutal de l’eau à grand fracas. « Le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle étaient posées des centaines de têtes de chevaux » (Curzio Malaparte dans Kaputt).

 

4 – Clathrate

 

« Voilà une bien grande cage pour un petit oiseau ! », ou comment une cage de molécules d’eau, le clathrate (ou hydratation hydrophobe), emprisonne une molécule hydrophobe (→ 5). Des molécules d’eau assemblées entre elles par des liaisons hydrogène s’organisent en un réseau polyédrique à faces pentagonales, semblable aux cristaux de glace, stable à basse température et haute pression.

L’eau peut ainsi emprisonner du méthane au fond des mers, de l’azote dans le sang, des radicaux hydrophobes dans les cellules avec des conséquences surprenantes. Le méthane, abondant dans les fonds marins et le sous-sol gelé des régions arctiques, est piégé sous forme de clathrates qui restent stables à haute pression jusqu’à 2 à 3 °C… tant qu’aucun mécanisme ne déclenche le dégazage dans l’atmosphère de ce gaz à effet de serre.

Ces étranges structures, composées d’eau entourant un gaz, se comportent comme un solide et jouent des tours dans la récupération du pétrole, en bouchant les canalisations.

Il semble par ailleurs que des mécanismes d’hydratation hydrophobes jouent un rôle dans l’action des anesthésiques. L’étude de l’arrangement des molécules d’eau au contact des biomolécules, eau interfaciale (→ 15) et clathrates, ouvre une voie prometteuse en recherche médicale.

 

5 – Hydrophile, hydrophobe

 

Sur une surface hydrophile comme le verre ordinaire, l’eau s’étale ; on dit qu’elle mouille la surface. Sur une surface hydrophobe, comme le silicone ou un parquet ciré, l’eau forme des gouttes qui ne s’étalent pas. Si la surface est revêtue de microtextures, elle peut même devenir superhydrophobe, c’est l’effet lotus, que l’on constate dans la nature sur certaines feuilles ou sur les plumes de canard.

Les molécules hydrophiles s’associent à l’eau par des liaisons hydrogène, elles se dissolvent dans l’eau ; les composés hydrophobes au contraire repoussent l’eau ou sont repoussés par elle, ils ne sont pas solubles dans l’eau.

Il arrive fréquemment que les biomolécules possèdent à la fois un groupe hydrophobe et un groupe hydrophile. On les appelle amphiphiles. Cette caractéristique est importante pour le fonctionnement cellulaire. Les détergents sont aussi amphiphiles, ils possèdent une tête polaire hydrophile qui favorise la dissolution de la molécule dans l’eau et une queue hydrophobe qui dissout les graisses.

La mise au point de surfaces superhydrophobes, mimant l’effet lotus, trouve de nombreuses applications pour protéger les peintures ou autres revêtements de l’action corrosive de l’eau, pour développer des textiles, des élastomères imperméables et des surfaces autonettoyantes sur lesquelles l’évaporation de l’eau ne laisse plus de traces.

 

 

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